• On m'appelle Sha-1 mais ça se prononce Sha.
  • Certainement en train de m'ennuyer à l'académie du Consulat.
  • Corps de 17 ans, mais un alter plus jeune.



-Mais…Attendez, elle a rien fait !
-Donne-moi ton gummi. Je ne vais pas me répéter.

Donc ouais, je fixe le prof avec le moins de respect dont je peux faire preuve, c’est pas spécialement difficile mais j’y ai mis du coeur… Je lui dis dans les yeux « Attends, tu crois sérieusement que je vais te donner ma vie  ? » Alors oui il y en aura sûrement pour dire…« Sha, t’as entendu parler de la déférence que tu dois à tes aïeux et blablabla ». Combien de vieux cons phallocrates peuplent le sénat ? Combien à être tant respectés en tant qu’artistes, érudits, qui adorent s’écouter parler à longueur journée, raison pour laquelle ils sont là à la place d’exercer leur « art ».

-Non mais il faut l’excuser Monsieur, c’est pas vraiment « elle », c’est son alter.

Je lève mon cul brusquement, faisant crisser la chaise, tout le monde se retourne vers moi. Ahah, désolée.

-Non non.

Je regarde le prof.

-Notre système vous dit d’aller royalement vous faire foutre. Merci.

Le prof finit par s’asseoir, après s’être relevé, enfin c’est pas la première fois qu’il nous fait le coup de se lever comme si c’était supposé nous mettre en garde.

-BON. Allez, c’est pas tout ça Monsieur, bonne journée !

Petite courbette avec jupe plissée et bas résille, ça fait toujours son effet, clin d’oeil au prof.Je quitte les lieux, petite sourire en coin. Je croise d’autres mines dociles dans les couloirs. Ça m’amuse de savoir que j’ai du temps  devant moi aujourd’hui. Evidemment, il s’agirait de pas se faire prendre. Pourquoi ? Le père. Pas qu’il me fasse peur, pas qu’il me batte.

-Hey Salut Mary-Sue.

Elle s’appelle pas Mary-Sue mais voilà, je lui fais les salutations les plus chaleureuses que j’ai jamais faites dans le couloir. Aucune de nous ne connait l’autre hein mais elle pourrait me répondre, mais non, elle me regarde puis m’ignore. Je lui tends mon plus beau doigt tout en tenant mon gummi et j’en profite pour immortaliser ma tête dans ce moment de gloire. Et j’entends Mary-Sue murmurer pas trop trop fort mais juste  assez :

-Mais pour qui elle se prend l’autre connasse schizophrène ?

Bref. Au pire je me trouve un coin et je passe la journée sur mon gummi. C’est pas avec Sharp qu’on s’amuserait comme ça, elle prendrait bien note, faisant genre que ça la blase et qu’elle réussit toujours sans étudier. Mon cul. Elle y passe toutes ses soirées sur ses petites fiches, bien soigneusement cachées dans son petit tiroir personnalisé. On sait toutes qu’elles sont là, on la voit faire mais bon, si je m’amuse à y toucher, qui sait ce qu’elle fera de ses petits doigts la drama queen.

J’escalade le muret qui nous sépare de la cour, je balance mon sac de l’autre côté puis je m’assieds par terre. C’est pas que c’est très confortable les pavés, c’est pas que je suis spécialement en osmose avec la nature, mais au moins là j’ai des chances de passer inaperçue. Je sors mon petit clavier, je le branche sur le gummi. Les gens me regardent toujours de travers quand je fais ça, ils sont curieux au mieux oui ils se foutent de ma gueule, mais honnêtement quand tu veux hacker le projecteur de ton prof, quand tu veux coder un truc un peu plus sérieux qu’un « Hello World » bah, le clavier virtuel a ses limites.

Elle était pourtant bien cette photo de Père Fouras avec la tête de l’aïeul. Bon, certes, j’ai fait des montages plus convaincants mais c’est l’intention qui compte, le message, ils le disent souvent au cours de commu.

Je me promène un peu sur Gumminow, alors que j’entends qu’on crie mon nom, qu’on me réclame. C’est les potes mais… Bah c’est que j’ai pas envie, puis en vrai, c’est plus les potes de Sharp que de moi, parce que elle, elle sait se faire de bons amis. Ouais tu sais le genre d’amie qui se tape ton mec dans ton dos. Je t’avais mise en garde Sharp. Je t’avais laissé une alert sur le gummi, mais t’as pas écouté, je t’avais écrit un message sur le miroir de la salle de bain, non plus, je l’avais gravé sur notre peau en mode « je me lacère pour toi Sharpie, écoute-moi ». Mais non. Cette grosse bécasse a rien écouté.

Alors est-ce que je vais vraiment leur répondre, par esprit de « bonne et franche camaraderie » ?Bon allez, encore 5-10 minutes et je réapparais, sinon Sharp va vraiment en faire une crise et nous noyez dans la baignoire.  Faut accessoirement que je me prépare à faire un tour dans le bureau du directeur.

Déjà, je ne suis pas schizophrène, j’ai pas assez de temps pour l’expliquer en détails parce que le timing est serré, vous savez ce que c’est, c’est comme le marathon mais en plus improvisé. Par contre faut arrêter avec la schizo. Parce que ouais, j’ai pas mal traîné sur internet, j’ai pas mal écumé les forums de dépressifs, on m’a fait voir des psys, et leurs réponses, bah je les emmerde. Parce que voilà, qu’on se le dise, une réponse = un médoc, ou bien une réponse = « tu dois faire des efforts, aller vers les autres, garder un rythme, gérer tes émotions, t’as essayé le yoga ? Parce que c’est vraiment bien le yoga pour ce que t’as, je connais plein de gens qui. ».Tu crois vraiment que j’ai envie de faire des efforts ? Non, j’ai 17 ans. C’est comme si tu demandais : T’as envie d’un verre d’eau ? Non, j’ai 17 ans. Alors j’ai fini par me dire que si j’étais si différente d’un moment à un autre, si je laissais exploser ma frustration sur les autres même si je les aime, leur balançant les pires vacheries, une violence qui me faisait du bien mais que je ne pouvais pas maîtriser, bah c’était peut-être que il y avait ce truc en moi. Et quand je dis truc, c’est cet autre, en fait c’est moi pour tout te dire. Sha, c’est mon nom d’alter, la persécutrice du système. On a mis un nom dessus, ça a même un acronyme, TDI.

Et donc, à la base, il y avait Sharp, c’est pas son vrai nom mais c’est plus coding-friendly, puis je suis arrivée. Entre temps, on a accueilli d’autres copines, presque toutes des emmerdeuses, pour la plupart aucun humour si vous voulez mon avis. D’ailleurs si vous le voulez vraiment (mon avis) elles devraient toutes passer leur tour en permanence pour plusieurs raisons :

  • Je choisis mieux mes amis (logique, j’en choisis…aucun)

  • Je choisis mieux mes habits et mon trait de liner est parfait.

  • Je choisis mieux notre couleur de cheveux.

  • Je chante bien, les autres ont une voix de crécerelle